LE DÉFI DU NOMBRE
Antoine Waechter et Didier Barthès, Bandelaire, 2022
Le livre d’Antoine Waechter et Didier Barthès est d’abord une excellente mise au point statistique sur les données démographiques actuelles. Fin 2022 ou début 2023, la Terre franchira le seuil de 8 milliards d’hommes, ce qui est… mille fois plus qu’il y a 10000 ans. La population mondiale continue à croître à un rythme d’environ 1,15% par an, soit 85 millions d’humains par an, ce qui est à nouveau bien davantage que ce que la Terre a connu lors de la première vague de croissance démographique au Néolithique (0,034% par an). Cette croissance est avant tout le fait de l’Afrique, dont le taux de fécondité moyen est de 4,4 enfants par femmes, là où le reste du monde a un taux de fécondité autour de 2,1 (seuil de renouvellement des générations) ou inférieur (1,6 en Europe, où aucun pays n’atteint 2 enfants par femme).
Les deux auteurs montrent en outre parfaitement que la croissance de la population mondiale est insoutenable. Par conséquent, les débats pour savoir si la Terre pourra nourrir 8 milliards, ou 10 milliards, ou 15 milliards d’hommes, sont en partie secondaire : le fait fondamental est que notre planète se heurtera tôt ou tard à une limite. Ce fait se démontre aisément par l’absurde : « La poursuite de notre taux actuel de croissance démographique conduirait l’humanité à disposer d’un mètre carré par personne dans un peu moins de 870 ans. Nous serions alors environ 150 000 milliards et aurions multiplié nos effectifs par 20 000. »
Ceci posé, les limites de la Terre seront-elles bientôt atteintes ? Waechter et Barthès pensent, à juste titre, que tel est le cas. Nourrir la planète requiert aujourd’hui des ponctions insoutenables sur l’environnement (énergie, minéraux) et des méthodes agricoles qui dégradent la nature (appauvrissement des sols, etc.). Les deux auteurs posent en outre intelligemment la question des « capacités de charge » de la Terre : celles-ci ne dépendent pas uniquement de données physiques et biologiques, comme c’est le cas pour les populations animales, mais aussi des modes de vie et de la culture (consommation de viande, modèle agricole, etc.). C’est d’ailleurs sur cette base que de nombreux mouvements écologistes rechignent à parler de démographie, estimant que la question peut être éludée si l’on change uniquement les modes de vie. Waechter et Barthès montrent bien que cela a peu de chances d’être suffisant – ne serait-ce que parce qu’une grande part de la population mondiale aspire à des niveaux de consommation bien plus élevés qu’aujourd’hui.
Pour les auteurs, l’urgence est donc celle d’une transition démographique rapide dans les pays où celle-ci n’a pas encore eu lieu. Ils appellent à promouvoir, principalement vis-à-vis de l’Afrique, la scolarisation des jeunes filles, l’émancipation des femmes ou la création d’assurances vieillesse dans les pays où il n’y en a pas. Waechter et Barthès considèrent aussi avec sympathie les mouvements qui prônent la limitation volontaire des naissances, principalement dans les pays du Nord.
C’est sur ce dernier volet – celui des solutions – que l’on peut formuler quelques réserves. À nos yeux, les auteurs ne considèrent la « capacité de charge » démographique de la Terre qu’à l’échelle mondiale. C’est un point de départ utile, mais ce n’est pas suffisant. La « capacité de charge » d’un écosystème – c’est-à-dire la population animale ou humaine qu’il peut nourrir – est avant tout un concept local. Ne raisonner quasiment qu’à l’échelle mondiale, c’est s’appuyer sur l’hypothèse implicite que toutes les ressources agricoles peuvent être déplacées sans limite sur la planète, ou que les populations elles-mêmes peuvent être déplacées sans limite. C’est donc s’appuyer sur une hypothèse qui contredit directement l’objectif de reterritorialisation, de circuits plus courts, etc.
Une fois que l’on déplace la question démographique à une échelle plus locale, il paraît évident que les mouvements de type « No kids » en Europe n’ont pas lieu d’être, puisque les populations locales, hors immigration, sont déjà en déclin démographique. En d’autres termes, il est illusoire d’en appeler à la « responsabilité » des populations européennes (ou autres) pour la démographie africaine ou mondiale : c’est aux peuples eux-mêmes de réguler leur démographie, en adéquation avec la « capacité de charge » de leurs territoires. Cette solution n’a rien de scandaleux, et ne serait qu’un retour aux dynamiques qui ont presque toujours prévalu. Par exemple, Waechter et Barthès rappellent à juste titre les travaux de l’historien Georges Minois sur la régulation des naissances au Moyen Âge.

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