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GAFA

Reprenons le pouvoir !

Joëlle Toledano, Odile Jacob, 2020

Sur les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), beaucoup de banalités ont été dites. À propos de leurs valorisations boursières colossales, de leur pouvoir de plus en plus étendu ou de leur immixtion dans la vie privée des individus. Le livre de Joëlle Toledano est d’une autre ampleur et, tout en étant très accessible, aborde des questions fondamentales. Entre autre choses, l’ouvrage montre parfaitement en quoi la politique de la concurrence doit être intégralement repensée pour prendre en compte les spécificités des GAFA.

Sur un marché classique, on considère que la concurrence est faible quand peu d’acteurs sont présents, ce qui leur permet d’augmenter leurs prix. Dès lors que l’on se tourne vers les GAFA, les positions fortement dominantes existent certes, par exemple sur les moteurs de recherche (Google) ou les réseaux sociaux (Facebook), mais là n’est pas l’élément central. Ce qui rend les GAFA spéciaux, ce sont d’abord des économies « de réseau » : les services offerts ont davantage de valeur quand le nombre d’utilisateurs augmente. Cela est évident pour certains services tels les réseaux sociaux (à quoi bon aller sur un réseau social qui a peu d’utilisateurs ?), mais est également vrai pour toutes les plateformes qui collectent des données : en accumulant des utilisateurs, des sociétés comme Google ou Amazon accumulent aussi des données, qui leur permettent d’améliorer en permanence la qualité de leurs algorithmes, de leurs services. Difficile donc pour les nouveaux entrants de se faire une place, sur des marchés qui tendent vers le monopole. Nous avons là des services qui ont tout d’« infrastructures », par nature très coûteuses à dupliquer (à l’image des réseaux routiers ou de chemins de fer).

Dans ce contexte, la vraie menace ne vient pas de nouveaux entrants offrant les mêmes services marginalement améliorés – ce qui est le cas dans les industries traditionnelles – mais d’entreprises pouvant offrir des business models radicalement différents. Face à cela, les GAFA se protègent et éliminent la concurrence de deux manières. D’abord, les GAFA ont des politiques d’acquisitions très actives (plusieurs centaines de sociétés acquises en 20 ans), soit pour intégrer à leurs systèmes des fonctionnalités nouvelles, soit pour « tuer » les projets concurrents (on parle de « killer acquisitions »). Ensuite, et surtout, les GAFA multiplient sans cesse les services accessibles via leurs plateformes. Être usager de Google, par exemple, c’est utiliser plusieurs dizaines de services différents, tous intégrés au sein de la même plateforme. Plus le nombre de services offerts est élevé, plus il devient coûteux de changer de plateforme, et donc plus la concurrence se réduit. Par exemple, passer du système d’exploitation d’Apple (iOS) à celui de Google (Android) n’est pas simple, de sorte que la plupart des usagers y renoncent. Là apparaît l’un des plus grands paradoxes : traditionnellement, les économistes considèrent qu’un manque de concurrence se traduit par des prix trop élevés ; là, beaucoup se services offerts sont gratuits en apparence, et c’est l’addition perpétuelle de nouveaux services qui constitue des barrières à la concurrence (en rendant encore plus coûteux pour l’utilisateur tout changement d’infrastructure) : quand de plus en plus de services sont offerts par Google, il devient virtuellement impossible de quitter Google. On comprend que les outils classiques de la politique de concurrence (à commencer par l’observation des ratios entre les prix et les coûts) aient été pris en défaut.

Dernier point : en offrant les infrastructures essentielles du monde numérique, les GAFA sont devenus des acteurs de plus en plus politiques. Joëlle Toledano cite la phrase de Mark Zuckerberg : « À bien des égards, Facebook ressemble davantage à un gouvernement qu’à une entreprise traditionnelle. » Certaines de leurs infrastructures sont clairement stratégiques, à l’image des câbles sous-marins possédés par Google. Plus récemment, une entreprise comme Google s’est vu confier des projets de gestion de quartiers ou de villes, destinées à devenir des « villes intelligentes ». Ce mélange public-privé est lourd de dangers potentiels.

L’ouvrage montre parfaitement que, pour infléchir le pouvoir des GAFA, les outils classiques du droit de la concurrence sont impuissants. Un immense chantier s’ouvre : il faut de nouvelles manières de définir les marchés, de démontrer les abus, de réaffirmer un droit commun par rapport au droit presque intégralement déterritorialisé des géants du numérique, et de nouveaux outils pour établir des preuves dans un monde numérique qui ne laisse que très peu de traces (rien de plus évanescent qu’un algorithme). Joëlle Toledano esquisse des pistes, qu’il faudra creuser plus avant à l’avenir.

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