
LES PÉRILS D'UNE "SOCIÉTÉ SANS CASH"
Contexte
Une pression croissante s’exerce sur les gouvernements du monde entier pour exiger le retrait progressif des espèces du système monétaire et tendre vers une « société sans cash » (cashless society). Ce mouvement est notamment soutenu par l’ONU, par des institutions financières (Visa, etc.) et par des fondations privées (Bill & Melinda Gates Foundation, etc.)[1]. Certains pays – Norvège ou Suède – sont très avancés dans cette voie, et bon nombre de magasins n’acceptent plus que les paiements électroniques. Cette tendance se manifeste par d’autres faits :
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Volonté de supprimer les « gros » billets (tel celui de 500 €, plus imprimé depuis 2018).
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Volonté de limiter les règlements en espèces entre particuliers et entreprises.
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Souhait des banques centrales de créer des « monnaies numériques de banque centrale » (CBDC).
Si le mouvement était déjà engagé avant la crise du Covid-19, celle-ci a accéléré certaines évolutions en matière de paiements électroniques : popularisation du paiement sans contact et développement du commerce en ligne. Beaucoup prédisent l’avènement d’une « société sans cash » d’ici 10 ans.
Des arguments qui ne tiennent pas la route
Les partisans d’une « société sans cash » ont deux arguments principaux :
1. La fin des espèces porterait un coup dur au crime organisé et à l’évasion fiscale. Or, l’immense majorité de l’évasion fiscale ne procède pas du déplacement de valises de billets, mais de l’expatriation et de l’usage de sociétés offshore. Quant aux réseaux criminels ou terroristes, ils pourraient trouver des substituts aux espèces, via certaines matières premières ou des crypto-monnaies (dont le rôle dans le commerce de biens illicites est connu).
2. La fin des espèces permettrait de mener une politique monétaire plus efficace. Lorsqu’elles veulent stimuler l’offre de crédits bancaires, les banques centrales abaissent les taux d’intérêts à court terme. Mais les taux d’intérêt ne peuvent guère descendre en dessous de 0%, car alors les ménages et les entreprises préféreraient retirer des espèces plutôt que de garder leur épargne sur des comptes bancaires (zero lower bound). Supprimer les espèces donnerait plus de latitude aux banques centrales pour abaisser les taux d’intérêts quand elles l’estiment nécessaire.
D’autres arguments mineurs sont aisément réfutés :
3. La production d’espèces serait coûteuse pour l’environnement. Certes, il faut des matières premières et de l’énergie pour produire billets et pièces. Mais, une fois produites, les espèces servent un grand nombre de fois. La monnaie électronique n’est pas « produite » initialement, mais chaque paiement nécessite une consommation électrique, de l’énergie pour stocker les données dans des serveurs. En outre, si les espèces disparaissaient complétement, il faudrait produire des terminaux de paiements et des infrastructures électroniques en plus grand nombre.
4. La production d’espèces serait coûteuse pour les finances publiques. Cet argument ne vaut que pour les très petites pièces (par exemple, celle d’un centime), dont le coût de production est supérieur à la valeur faciale. Pour les billets et les pièces plus grosses, cet argument ne tient pas. En outre, la production, la maintenance, la sécurisation et la régulation des infrastructures nécessaires à des paiements 100% électroniques ont elles-mêmes un coût élevé.
Une menace pour nos libertés et notre sécurité
La disparition des espèces marquerait un basculement grave, à plusieurs égards :
1. La porte ouverte à la surveillance généralisée. Si tous les paiements sont électroniques, tous sont traçables et peuvent être surveillés. Les engagements à respecter l’anonymat seront relatifs : des motifs « d’exception » pourront être invoqués par les États ; des gouvernements étrangers pourront exercer des pressions auprès des sociétés gestionnaires pour accéder aux données (comme le font les États-Unis avec SWIFT depuis 2010) ; les données pourraient être la cible de hackers (l’essor de l’informatique quantique va rendre les problèmes de sécurisation des infrastructures plus aigus dans les années à venir).
2. Un nouveau facteur de crises systémiques. Si tous les paiements sont électroniques, une interruption, même temporaire, des réseaux électriques ou de communication pourrait mener immédiatement à la désorganisation et au chaos, en rendant impossibles les échanges les plus banals. Les systèmes de paiements deviendraient, plus encore qu’aujourd’hui, des infrastructures stratégiques visées par des hackers ou des États malveillants.
3. Une plus grande insécurité économique. La relative sécurité des patrimoines est un facteur de stabilité de l’ordre social, qui permet de se projeter dans l’avenir. En permettant aux banques centrales de fixer des taux négatifs, sans aucune limite, la disparition des espèces serait une menace majeure pour l’épargne des ménages – notamment les classes moyennes et basses qui n’auraient pas la possibilité de déplacer leur épargne vers des pays étrangers. En outre, l’efficacité macroéconomique des baisses de taux d’intérêts en période de crise n’a rien d’évident, et reste discutée par les économistes.
4. Des effets redistributifs non négligeables. Les plus démunis, qui n’ont parfois ni compte bancaire ni appareil électronique, seraient fragilisés. Au-delà, la fin des espèces nuirait disproportionnément aux petits commerces par rapport aux grandes entreprises, car ceux-là sont davantage dépendants pour fonctionner d’arrangements informels – qui ont toujours existé et ne sont en rien réductibles à de la fraude fiscale (par exemple, faire tenir la boutique quelques heures par un proche, etc.). Enfin, l’abandon des espèces entraînerait un reflux des agences bancaires qui, sur un territoire, offrent de nombreux autres services.
Recommandations
Le fait que l’usage des espèces soit en régression se comprend aisément : elles sont concurrencées par des technologies qui, la plupart du temps, fonctionnent de manière satisfaisante. Ce reflux ne signifie pas que les espèces ne servent à rien et peuvent disparaître : du point de vue des libertés et de la sécurité, ce n’est pas l’usage massif et quotidien des espèces qui est important, mais la possibilité de leur usage dans certaines situations. Les espèces doivent être préservées car elles constituent un garde-fou contre des dérives liberticides et des situations de crises potentiellement très graves.
[1] Ces entités sont réunies au sein de la Better than Cash Alliance.
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