STAKEHOLDER CAPITALISM
A Global Economy that Works for Progress, People and the Planet
Klaus Schwab, Wiley, 2021
Klaus Schwab, fondateur du forum économique de Davos, a surtout été connu depuis 2020 pour son projet de « great reset » (grande réinitialisation). Ce que l’on sait moins est qu’il est aussi l’auteur, en 2021, d’un livre passé bien plus inaperçu, Stakeholder Capitalism.
Que contient cet ouvrage ? In fine, bien peu de choses. Avant même de juger du fond, on peut s’étonner qu’une personne aussi influente dans le monde ait une prose aussi superficielle, des références aussi rebattues et bien trop légèrement digérées. À supposer qu’il existe une pensée mondialiste, ou universaliste, de qualité, elle n’est certainement pas à rechercher chez Schwab.
Ceci posé, qu’en est-il du fond ? Plusieurs choses, semble-t-il, sont à retenir. En économie, l’idée d’une gestion de l’entreprise prenant en compte l’intérêt des diverses « parties prenantes » (stakeholders, que sont les salariés, l’environnement, etc.) a permis, chez de nombreux auteurs avant Schwab, de critiquer la seule gestion de l’entreprise au profit des actionnaires (shareholder value maximization). En soi, cette idée est évidemment séduisante car, si elle est bien pensée, elle peut permettre de « ré-encastrer » les activités économiques dans un tissu social et politique.
Mais une fois affirmée l’importance de stakeholders autres que les actionnaires, encore faut-il préciser de quelles « parties prenantes » on parle. C'est là que les choses se dégradent. Schwab reste souvent très superficiel, mais l’on voit bien que, à ses yeux, ces « parties prenantes » sont souvent mondiales, tout simplement parce qu’il estime que l’essentiel des enjeux de notre temps sont mondiaux : le climat évidemment, mais aussi les pandémies, les inégalités, les migrations, etc. Sans préciser concrètement la manière dont ceci doit se faire, Schwab entend donc mêler des intérêts mondiaux à la gouvernance de chaque (grande ?) entreprise – ce qu’une certaine acception de la « responsabilité sociale de l’entreprise » (RSE) fait déjà en grande part.
On voit là poindre un danger : celui de dénaturer tout ce qu’une vision de l’économie réarrimée au politique peut avoir de bon. Il serait fortement dommageable que, par rejet du stakeholder capitalism dans sa version schwabienne, certains soient tentés de revenir à une vision de l’entreprise réduite à la maximisation de la valeur pour l’actionnaire. Le danger est d’autant plus réel que Schwab, au cœur de la puissance financière mondiale depuis plus de 50 ans (le forum de Davos a été fondé en 1971), prend un malin plaisir à expliquer que les évolutions subies par le capitalisme depuis un demi-siècle sont... en opposition totale avec ce qu’il aurait souhaité promouvoir ! Si la quête du profit a régné en seul maître durant des décennies, c’est bien à son insu ! Face à la vision schwabienne du stakeholder capitalism, il faut bien plutôt affirmer que les vraies « parties prenantes » qui ont leur mot à dire sur les affaires économiques sont locales, enracinées. Ce sont des communautés et des peuples historiques.
Un dernier point mérite enfin mention. Il serait erroné de réduire Schwab et Davos au seul règne des intérêts privés à l’échelle mondiale, même masqués derrière un discours sur les « stakeholders ». Plus que le seul règne des grandes entreprises, le rêve de Schwab est une fusion des intérêts publics et privés, des entreprises et des États, et de cet ensemble avec des institutions supranationales renforcées. C’est le sens qu’il faut donner à son stakeholder capitalism : un mélange mondial qui dépasse très largement la distinction de l’économique et du politique tels que nous les pensons habituellement. Mondialisés et fusionnés, les intérêts publics et privés laissent de côté ce qui nous est le plus cher : des biens communs territorialisés.

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