LA PROPRIÉTÉ DE LA TERRE
Sarah Vanuxem, Wildproject, 2018
L’idée générale qui inspire l’essai de Sarah Vanuxem est fort séduisante : les choses ne sont pas des objets que l’on peut s’approprier, mais des « milieux » dans lesquels on doit séjourner. On sent là l’influence de Heidegger, dont les textes « La chose » et « Bâtir habiter penser » sont cités. Une telle vision du monde, notamment de la nature, nous invite à repenser profondément la nature de la propriété : celle-ci ne serait pas susceptible d’accaparement privé, mais devrait être repensée comme un mode d’habitation de notre environnement. Cette vision de la propriété s’oppose à celle que nous a léguée la modernité avec le Code civil : une vision purement individualiste et exclusive. Ce saut conceptuel est nécessaire pour penser rigoureusement les biens communs. À cet égard, signalons quelques phrases magnifiques sur la réinterprétation proposée : plutôt que le penser la propriété comme dominium (assimilée à la « domination »), il faut la penser comme lieu de la domus (l’habitat).
Ceci posé, quelques réserves doivent être formulées. Tout d’abord, s’agissant des conceptions existantes de la propriété, davantage de clarté serait bienvenue. Ainsi, le libre consacre quelques brèves pages à la propriété médiévale, mais ne dit pas en quoi la vision des choses comme milieux se rapproche de cette conception médiévale – on trouverait pourtant des similarités frappantes (les terres communes et les usages médiévaux sont probablement ce que l’auteur souhaiterait sans le dire). Sur l’interprétation de la propriété romaine, les choses sont encore quelques peu confuses : on sait que l’idée selon laquelle la propriété romaine aurait été individualiste et exclusive est aujourd’hui dépassée, et que cette vision est le fruit d’une réinterprétation des corpus antiques par les juristes médiévaux. Enfin, sur la propriété moderne, l’auteur s’efforce de montrer que sa vision des choses comme milieux pourrait être refondue dans le Code civil, sans y introduire de bouleversement capitaux. C’est fort douteux, tant on sait que la vision individuelle de le propriété fut prégnante dans les esprits qui ont accouché du Code civil (les travaux récents de Rafe Blaufarb l’ont opportunément rappelé). Ces quelques remarques n’enlèvent rien aux mérites premiers de l’ouvrage, qui sont grands. Ce texte permet de creuser plus avant une remise en cause de la propriété privée, que l’on voit poindre chez un nombre croissants d’auteurs : face à la propriété individualiste, non un collectivisme « bête et méchant », mais une habitation de biens communs concrets.

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