PROTÉGER OU DISPARAÎTRE
Le débat français sur le protectionnisme
Yves Perez, Perspectives libres, 2021
Yves Perez, disparu bien trop tôt, avait publié avant de nous quitter un petit ouvrage dont les qualités sont immenses – probablement plus grandes que celles de son précédent livre, Les Vertus du protectionnisme, qui avait pourtant davantage attiré l’attention. Dans Protéger ou disparaître, il propose une relecture très originale de l’histoire économique de la France depuis un siècle et demi. L’ensemble, qui alterne entre exposé des débats théoriques et étude des faits, est très convaincant.
Dans le domaine des idées, Yves Perez donne une grille de lecture très puissante. La plupart des économistes, libre-échangistes, ont depuis longtemps prôné l’ouverture des frontières, la spécialisation selon des avantages comparatifs fluctuants, le développement des transports qui fluidifient les mouvements, l’industrialisation selon le modèle de l’Angleterre, etc. Face à cela, on découvre des auteurs moins connus, mais qui comprennent que la France n’est pas une terre indifférenciée, que l’une de ses forces est l’ampleur de sa production agricole. Et, à l’inverse, que les ajustements suscités par le libre-échange ont des coûts qui sont considérablement sous-évalués par les libéraux. Ces auteurs valorisent davantage la stabilité de l’ordre social, un développement contrôlé qui ne brusque pas les changements de situation. Dans les années 1873-1892, ce débat oppose les saint-simoniens aux partisans de Jules Méline (acteur du retour du protectionnisme dans les années 1890) ; pour la première moitié du XXe siècle, on croise les noms d’économistes oubliés, et que – au sortir de l’ouvrage – on a envie environ de lire plus avant : Paul Cauwès, Louis Brocard, ou un certain Charles Hérisson, auteur d’une thèse remarquée sur l’autarcie dans les années 1930.
S’agissant des faits, deux clés de lecture éclairent beaucoup de choses. Tout d’abord, l’importance de l’assise agricole pour la solidité de la France. Ensuite, la relative pauvreté en charbon, qui explique les performances historiquement moyennes de notre pays en matière industrielle. Ces deux éléments expliquent par exemple en quoi le développement de l’industrie n’a jamais pu être aussi soutenu que les libéraux et les saint-simoniens l’auraient souhaité : car il fallait importer toujours davantage de charbon, à des prix élevés. À l’inverse, c’est lorsque l’agriculture a été soutenue et protégée de la concurrence mondiale (notamment américaine) que la France a été plus forte. De ce point de vue, les droits de douane imposés dans les années 1890 à l’instigation de Jules Méline n’ont pas eu les effets désastreux redoutés par les libre-échangistes, bien au contraire (cette protection a également permis d’éviter une forte émigration de la population rurale vers les États-Unis, contrairement à ce qu’ont connu la plupart des pays européens à la fin du XIXe siècle). Concernant les décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale, les mêmes forces prévalent. Si la France a connu les Trente glorieuses, ce n’est pas parce qu’elle s’est alors ouverte au libre-échange, mais parce ce que sa dépendance au charbon a été temporairement soulagée par l’afflux de pétrole. À l’inverse, le déclin relatif date précisément du moment où le libre-échange s’imposa à pleine force, avec l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 1974. Résolument alternative, la lecture que fait Yves Perez de l’histoire économique est à la fois concise et stimulante.

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