VOITURE ÉLECTRIQUE : ILS SONT DEVENUS FOUS !
François-Xavier Pietri, L'Observatoire, 2022
Le 29 juin 2022, les vingt-sept États membres de l’Union européenne ont confirmé l’interdiction de véhicules neufs émetteurs de CO2 d’ici à 2035. Cela concerne les véhicules à essence, à diesel, et même les hybrides. La voie est donc ouverte à une électrification totale du parc automobile européen, à l’initiative principalement de l’Allemagne, et notamment de Volkswagen, qui y voit un moyen de rebondir après le « dieselgate ».
Le livre de François-Xavier Pietri est une charge violente, unilatérale, contre la voiture électrique. C’est ce qui nuit quelque peu à l’ouvrage, qui contient néanmoins d’excellentes choses – car la décision européenne soulève en effet de très profondes questions.
Très concrètement, est-il vrai que le bilan carbone d’une voiture électrique est meilleur que celui d’une voiture « thermique » ? Sa construction a un bilan carbone bien pire. Par conséquent, le bilan carbone d’une voiture électrique n’est meilleur que celui d’une voiture thermique qu’après qu’elle ait parcouru un grand nombre de kilomètres. Combien ? Environ 40 000 si l’électricité qui l’alimente est décarbonée, et bien davantage si tel n’est pas le cas. En Allemagne par exemple, où une large part de l’électricité est produite à partir d’énergies fossiles, le seuil pour atteindre un bilan carbone favorable à la voiture électrice serait de 160 000 kilomètres. En outre, sera-t-on en mesure de produire suffisamment d’électricité pour satisfaire la demande ? Quant aux composants nécessaires à la fabrication des batteries, dont le cobalt et le lithium, y aura-t-on suffisamment accès ? À l’heure qu’il est, l’essentiel des ressources sont contrôlées par la Chine. Il n’est pas impossible que nous nous heurtions à un « mur des ressources », – électricité ou métaux rares – avant d’avoir pu déployer massivement la voiture électrique.
À cela s’ajoutent des questions sociales et territoriales. Le coût d’une voiture électrique est beaucoup plus élevé que celui d’une voiture thermique (écart d’environ 10 000 euros). Ne risque-t-on pas de faire de la voiture un bien de luxe, fragilisant encore davantage les populations des territoires périphériques ? On pourrait penser que la massification de la production fera baisser les prix. Selon François-Xavier Pietri, rien n’est moins sûr : en 10 ans, les prix n’ont pas baissé, mais… augmenté de 35% ! La rareté des métaux pourrait amplifier le phénomène.
D’autres critiques sont en revanche prématurées ou moins justifiées. Par exemple, celles relatives au faible nombre de bornes de recharge ou à leur efficacité douteuse. Ce sont là des problèmes techniques, dont on peut penser qu’ils seront plus aisément réglés.
Un angle mort mérite enfin débat. S’il est légitime de s’interroger sur la viabilité de l’électrification du parc automobile, la seule critique frontale n’est pas satisfaisante, pour la simple raison que le parc de voitures thermiques soulève lui-aussi des questions majeures : bilan carbone douteux, et raréfaction à venir du pétrole. De même, s’il est aujourd’hui impensable pour certaines populations périphériques de se passer de véhicule, une situation où chacun a son propre véhicule, voire deux ou trois, n'est pas durable. Sur le temps long, il faut donc sortir de l’opposition binaire entre voiture thermique et voiture électrique, pour poser une question plus complexe : comment repenser l’organisation territoriale, la géographie des activités humaines, et nos modes de vie, pour que la mobilité quotidienne soit un besoin moins impérieux ? De ce point de vue, l’abandon des services publics ou des petits commerces en milieu rural apparaissent comme les politiques les moins écologiques qui soient, car elles entretiennent le besoin de déplacements quotidiens longs en voiture. Penser ces modèles alternatifs est un chantier qui dépasse très largement l’ouvrage de François-Xavier Pietri.

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