LE PIÈGE AMÉRICAIN
L’otage de la plus grande guerre souterraine témoigne
Frédéric Pierucci et Matthieu Aron, J'ai lu, 2020
Paru en 2019, le témoignage de Frédéric Pierucci sur sa détention aux États-Unis et sur l’affaire Alstom est désormais disponible en livre de poche. L’ouvrage mérite d’être lu, d’abord parce qu’il vaut bien des romans policiers. C’en est un, bien sûr, sauf que les faits sont réels – et mettent en lumière des enjeux cruciaux d’intelligence économique qui demeurent trop méconnus. En avril 2013, Frédéric Pierucci est arrêté à son arrivée aux États-Unis et conduit en prison. L’entreprise pour laquelle il travaille, Alstom, est accusée de corruption, notamment en Indonésie, sans que Pierucci lui-même ait joué aucun rôle actif. La suite est connue : pour échapper à des poursuites, les hauts dirigeants d’Alstom, dont son ancien PDG Patrick Kron, font porter le chapeau à Pierucci, et iront jusqu’à consentir à la vente d’une large part des activités stratégiques d’Alstom à General Electric (au détriment d’un projet commun avec l’allemand Siemens). En clair, l’affaire montre le dépeçage d’un fleuron industriel français, avec la complicité de la plupart des banques d’affaires ou des grands cabinets d’avocats de Paris – souvent anglo-saxons – et l’assentiment d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie.
Derrière tout cela ? Le FCPA, ou Foreign Corrupt Practices Act, une loi américaine de 1977 destinée à lutter contre la corruption. Jusque dans les années 2000, elle n’avait visé quasiment que des entreprises américaines. Depuis lors, le DOJ (Department of Justice) en a fait une loi à portée extraterritoriale, de sorte que toute entreprise non américaine peut être condamnée par la justice américaine pour des faits commis en dehors des États-Unis, dès lors qu’il existe le moindre lien avec les États-Unis (recours au dollar pour les paiements, stockage de données sur un cloud américain, etc.). Ceci n’est que la première étape du dévoiement du FCPA. La seconde est parfaitement illustrée par l’affaire Alstom : l’usage du FCPA par des entreprises politiquement connectées au sommet de l’État fédéral américain – en l’occurrence General Electric – pour affaiblir des concurrents étrangers et pousser à leur rachat dans des conditions avantageuses. Si ces pratiques ont considérablement gagné en importance depuis une dizaine d’années, les pays européens restent trop peu conscients du danger, et trop peu protégés pour y faire face. Le relatif silence ayant accompagné la perte d’Alstom, et la détention arbitraire dont Frédéric Pierucci a été victime – en sont la meilleure preuve. Le piège américain complète très utilement la lecture des autres ouvrages récents consacrés au FCPA et à l’extraterritorialité du droit américain.

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