
POURQUOI LE PROTECTIONNISME ?
Contexte
Des traités de libre-échange sont régulièrement signés (Canada, Japon, Mercosur, etc.), et suscitent souvent de vives protestations. Celles-ci sont souvent balayées par les économistes, qui communient pour la plupart dans le rejet de tout ce qui est assimilable à du protectionnisme. Est-ce à dire que le protectionnisme est théoriquement indéfendable ? Non, absolument pas. En revanche, il faut reconnaître que les arguments utilisés par les partisans du protectionnisme ne sont souvent pas les bons.
Les arguments habituels ne sont pas les bons
La plupart des partisans du protectionnisme insistent sur l’idée que celui-ci serait bon pour l’économie, notamment pour la croissance. Du point de vue de la théorie économique, cela est douteux. En effet, si deux individus ou entreprises échangent, c’est le plus souvent parce qu’ils y trouvent un bénéfice mutuel : en termes économiques, une valeur ajoutée sera donc réalisée, qui tendra à augmenter le PIB. Même si d’autres facteurs peuvent entrer en jeu, il y a donc une corrélation en partie mécanique entre libre-échange et croissance économique (c’est-à-dire la croissance du PIB).
Empiriquement, les études donnent des résultats mixtes. Par exemple, durant la Belle époque (1890-1914), un rebond protectionniste semble avoir été associé à une croissance plus forte. Néanmoins, s’enfermer dans de tels débats sur les chiffres est une pente glissante, car de très nombreuses études montrent à l’inverse les effets négatifs du protectionnisme pour la croissance. Pour défendre efficacement le protectionnisme, il faut au contraire cesser de se limiter à ce seul type d’argument.
Argument I : Le protectionnisme, seule limite à la concurrence des normes
Si la plupart des économistes défendent le libre-échange, tous reconnaissent qu’il a aussi certains effets négatifs (« externalités ») : pollution, bénéfices inégalement répartis, etc. Mais ils pensent que les gains nets sont plus grands que ces effets négatifs. Si tel est le cas, une politique de redistribution des gains pourrait être telle que chacun soit gagnant au libre-échange. Cependant, de telles politiques sont généralement impossibles ou inopérantes, car le libre-échange, c’est aussi la possibilité de profiter de l’absence de frontière pour échapper aux contraintes réglementaires et fiscales qui pourraient permettre de corriger ces effets négatifs.
Ainsi, l’échange mondial n’est pas identique à l’échange local, mais sur une échelle plus grande. C’est un échange de nature différente : un échange qui peut s’abstraire de tout l’ordre public local, et donc s’émanciper de toute considération pour les biens communs locaux. Quelques exemples :
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Évasion fiscale : Beaucoup de entreprises qui participent à l’échange mondial sont immatriculées dans des paradis fiscaux. Bien que réalisés dans des pays comme la France, une grande part de leurs profits est déplacée vers ces juridictions et échappe à l’impôt. Au moins un tiers des profits des multinationales échapperait ainsi à l’impôt, et bien davantage pour certaines.
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Évasion réglementaire : Plus de 90% du commerce mondial se fait par voie maritime. Or près de 80% du tonnage mondial (porte-conteneurs, etc.) est immatriculé dans des « pavillons de complaisance », qui offrent souvent des environnements réglementaires très favorables : moindre régulations environnementales, sociales, etc. Ce type d’évasion réglementaire touche beaucoup d’autres secteurs.
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Concurrence des normes : Sur le temps long, l’évasion réglementaire pousse certains pays à un moins-disant réglementaire. À titre d’exemple, la France a créé son propre pavillon de complaisance (le RIF).
Dans ce contexte, si un certain protectionnisme est requis, c’est d’abord pour corriger les effets négatifs du libre-échange – sur l’environnement ou la société. Affirmer que ces effets peuvent être corrigés sans remettre en cause le libre-échange absolu est un non-sens : c’est ne rien comprendre à la nature de la mondialisation, qui est la mise en concurrence de tous les ordres politiques, et la possibilité pour les intérêts privés les plus mobiles de s’abstraire de toute considération pour le bien commun des peuples.
Argument II : Le protectionnisme, pour défendre le patrimoine immatériel des peuples
Le second angle mort dans le discours des économistes qui défendent le libre-échange est leur absence de considération pour tout ce qui ne se réduit pas à des marchandises valorisables en termes monétaires. Par exemple, la disparition d’une tradition ou d’un mode de vie, le délitement d’une communauté locale, la dégradation d’un écosystème, etc., peuvent être très « coûteux » pour un pays ou une région, mais ne sont jamais pris en compte par les chiffres de la croissance. Ainsi, tout ce qui touche au bien commun immatériel des peuples n’est pas pris en considération par les partisans inconditionnels du libre-échange. Or il y a de bonnes raisons de penser que ces coûts sont importants et durables : les régions qui connaissent une désindustrialisation rapide et massive du fait de l’ouverture commerciale mettent très longtemps à se reconvertir (si elles y parviennent), et les pathologies sociales (suicides, drogue, obésité, etc.) qui accompagnent ce processus sont très sévères.
Dès lors que l’on reconnaît que les peuples et les communautés existent et ont des biens communs à défendre, alors le protectionnisme est justifié : pour protéger tout ce qui fait la spécificité de ces peuples (environnement naturel et culturel) et est nécessaire à leur préservation (infrastructures stratégiques, défense nationale). Une prise en considération des biens communs incite à redonner au politique son primat sur les forces économiques : le bien commun n’est pas un concept économique, mais un concept politique.
Recommandations
Le protectionnisme doit être défendu avant tout pour des raisons extra-économiques : parce qu’il contribue à préserver le bien commun des peuples. Sont « protectionnistes » toutes les mesures qui œuvrent en ce sens. Ainsi, le protectionnisme ne peut pas se réduire aux caricatures qui en sont faites :
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Il n’est pas seulement une politique fiscale « bête et méchante » aux frontières, mais peut prendre la forme de régulations sanitaires ou environnementales, de normes d’étiquetage, etc.
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Il n’est pas un retour à l’autarcie et n’a aucune raison de concerner de manière uniforme tous les biens et services : le protectionnisme n’est justifié que là où il y a un bien commun à protéger.
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Des mesures protectionnistes ne doivent pas exister uniquement aux frontières étatiques, mais à tous les échelons où il y a un bien commun à préserver, y compris les échelons locaux. Une commune ou une région doivent pouvoir préserver traditions et savoir-faire locaux.
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