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LES MONNAIES NUMÉRIQUES DE BANQUES CENTRALES : DEMAIN, LA SURVEILLANCE

Contexte

Partout sur la planète, les banques centrales développent des projets de monnaies numériques de banques centrales (MNBC, ou central bank digital currency, CBDC, en anglais).

  • Le pays le plus avancé est la Chine, dont le renminbi digital (e-CNY) compte déjà des centaines de millions d’utilisateurs.

  • Au cours de l’année 2022, les États-Unis, un temps hésitant, ont fortement accéléré dans leur projet de développement d’un dollar numérique.

  • En Europe, la banque centrale européenne (BCE) accélère également le développement d’un euro numérique. Le 16 septembre 2022, 5 entreprises, dont Amazon, ont été choisies pour travailler au développement d’interfaces permettant, à terme, le lancement d’un euro numérique.

Qu'est-ce qu'une MNBC ?

Une MNBC est une alternative aux systèmes de paiements actuels, et diffère totalement des simples paiements électroniques tels que nous les connaissons aujourd’hui.

  • À l’heure actuelle, seules les banques commerciales ont un compte auprès de la banque centrale, où elles détiennent leurs « réserves ». Individus et entreprises n’ont de comptes bancaires qu’auprès de banques commerciales. Tous les paiements qu’ils font passent donc par les banques commerciales.

  • Une MNBC permettrait aux individus et aux entreprises de détenir un compte directement auprès de la banque centrale. Les paiements pourraient donc se faire directement en « monnaie de banque centrale », sans l’intermédiaire des banques commerciales. Plus que la dimension « numérique » des paiements, c’est ce changement d’intermédiaire qui est central dans les MNBC.

Les partisans des MNBC réduisent généralement le débat à de seules questions d’efficience technique et économique. Par exemple, il est vrai que les MNBC pourraient réduire le coût des paiements, en éliminant les commissions prélevées par les banques. Dans certains cas, le recours aux MNBC pourrait aussi améliorer l’efficacité de la politique monétaire, en éliminant l’intermédiaire des banques.

Néanmoins, limiter le débat sur les MNBC à une question d’efficience économique est dangereux. Les MNBC ouvrent surtout des questions majeures relatives à (i) l’avancée d’une société de surveillance et (ii) aux intérêts stratégiques et géopolitiques.  

Les MNBC et le contrôle des paiements

En centralisant tout ou partie des paiements au sein des banques centrales, les MNBC donnent aux États des données extrêmement détaillées permettant potentiellement une surveillance très étendue. En Chine, cette possibilité existe explicitement. Aux États-Unis et en Europe, la volonté de protéger les données privées est affichée, sauf dans le cas d’exceptions liées au terrorisme ou à d’autres activités criminelles. Cependant, les déclarations d’intention sur ce point doivent être prises avec la plus grande précaution : de nombreux exemples récents montrent que la protection des données privées est vite piétinée quand un État l’estime nécessaire.

Par ailleurs :

  • Outre la surveillance domestique, la surveillance peut se faire par l’étranger, si les infrastructures technologiques utilisées sont étrangères (c’est exactement ce qui s’est passé lorsque les États-Unis ont surveillé le système de paiement international SWIFT au début des années 2000).

  • D’autres mesures autoritaires pourraient être prises par les États contre certaines fractions de la population : gel des comptes en MNBC, confiscation des dépôts, taux d’intérêts négatifs sur les dépôts.

Les MNBC, infrastructure stratégique et géopolitique

Les MNBC soulèvent en outre des questions stratégiques. Pour que les MNBC aient un véritable intérêt, des paiements internationaux doivent pouvoir être faits, ce qui présuppose des infrastructures technologiques communes ou « interopérables » (à l’image du rôle joué par SWIFT dans le système financier actuel). Il est donc peu probable que chaque pays développe sa propre technologie : le système mondial des paiements en MNBC pourrait, à terme, se structurer autour de deux ou trois systèmes dominants.

À l’heure actuelle, les États-Unis sont très inquiets de l’avance chinoise en matière de MNBC. Non seulement la Chine pourrait être amenée à exporter sa technologie (et les paiements en e-CNY) au sein de pays limitrophes ou de pays alliés dans le cadre des « nouvelles routes de la soie »). Mais les infrastructures chinoises, si elles attirent une part importante des paiements internationaux, feraient perdre aux États-Unis un outil central pour leur politique étrangère : la capacité à imposer des sanctions financières, et le contrôle de tous les acteurs utilisant les dollars pour des paiements (via l’extra-territorialité de leur droit). Les États-Unis voient donc le développement d’un dollar numérique – et son exportation dans le monde – comme un enjeu mettant en cause leur puissance.

Recommandations

  • Dans l’idéal, si l’objectif premier est d’améliorer l’efficacité des systèmes de paiements, il est préférable de contrôler les commissions prélevées par les banques, plutôt que de développer une MNBC.

Si des MNBC devaient néanmoins être développées :

  • Le débat sur les MNBC doit d’abord être recentré pour en faire, avant tout, vis-à-vis de l’extérieur, une question stratégique. Si l’Europe doit développer sa propre MNBC, ce doit être avec une technologie propre, qui confère à ses infrastructures une indépendance vis-à-vis des puissances étrangères, notamment des États-Unis. Cette indépendance doit permettre à la fois d’éviter la surveillance, ainsi que les ingérences (menaces de coupure ou d’exclusion du réseau). À cet égard, la nomination d’Amazon pour participer au développement de l’infrastructure est une nouvelle inquiétante pour l’indépendance européenne.

  • À l’intérieur de la zone euro, une question centrale est celle des garde-fous permettant de se prémunir contre une surveillance des paiements, par les autorités nationales ou européennes elles-mêmes. Pour ce faire, deux choses semblent impératives. Premièrement, si elles sont offertes au grand public, les MNBC ne doivent pas se substituer aux paiements en espèces et aux paiements via des banques, mais être une option supplémentaire. Deuxièmement, une banque centrale soucieuse de recourir à une MNBC à des fins de politique monétaire aura certainement besoin que tout citoyen ait un compte en MNBC. Si tel est le cas, une surveillance de masse sera toujours potentiellement latente. La loi devra donc limiter l’usage des MNBC pour les paiements, et interdire son utilisation à des fins de politique monétaire.

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