top of page
port.jpg

DÉFICIT COMMERCIAL : L'INQUIÉTANT DÉCROCHAGE DE LA FRANCE

L’une des vocations de Champs communs est de scruter les fragilités économiques et stratégiques de nos territoires, notamment leur dépendance aux importations. À ce titre, l’étude de la balance commerciale est d’un intérêt majeur. Champs communs publiera périodiquement des indicateurs, tirés d’une exploitation systématique des données douanières, permettant de mesurer la dépendance de la France à l’étranger. Première étape : un panorama général, des années 1970… jusqu’à l’effondrement récent.

Un déficit vieux de 20 ans

La France a connu son dernier excédent commercial il y a presque exactement 20 ans. Depuis lors, notre pays importe systématiquement davantage qu’il n’exporte. Cette tendance s’est aggravée récemment. En août 2022, un nouveau record a été atteint pour le déficit commercial : plus de 15 milliards d’euros, sur une période de seulement un mois.

Sur le temps long, une rupture frappante apparaît au début des années 2000. Avant cela, sur la période 1970-2000, les déficits ou les excédents commerciaux n’étaient que temporaires, et rapidement corrigés. Depuis lors, les importations sont systématiquement plus élevées que les exportations (Figure 1)[1].

 

Ce décrochage est d’autant plus visible si l’on représente directement le solde commercial, c’est-à-dire la différence entre les exportations et les importations (Figure 2). Concrètement, un déficit d’environ 80 milliards d’euros sur une année signifie que la France s’endette de 80 milliards vis-à-vis du reste du monde pour maintenir son niveau de consommation. Si l’on distingue les biens et services (Figure 3), il apparaît que la France a un solde commercial positif sur les services, et négatif sur les biens. Ce sont donc ces derniers qui plombent la balance commerciale française.

Qu’est-ce qui explique ces déficits, et leur creusement récent ? Deux candidats viennent immédiatement en tête : les prix du pétrole et le taux de change de l’euro avec le dollar. Tous deux jouent en effet un rôle : depuis 2008, une appréciation des prix du pétrole (Figure 4) et un euro plus faible par rapport au dollar (Figure 5) se traduisent tous deux par un solde commercial plus négatif.

 

Néanmoins, ces effets ont été historiquement très limités, et ne peuvent en rien expliquer la situation actuelle. En effet, en moyenne sur la période 2008-2022, un quadruplement du prix du pétrole (Brent) de 30 à 120 dollars le baril n’était associé à un déficit commercial supplémentaire que d’environ 2 milliards d’euros par mois. De même, un affaiblissement de l’euro de 1,2 USD/EUR à 1 USD/EUR était associé à un déficit commercial supplémentaire inférieur à 1 milliard d’euros par mois. En d’autres termes, si le commerce de la France restait sensible aux fluctuations macroéconomiques mondiales, cette sensibilité restait limitée.

Le décrochage depuis 2020

Les choses ont bien changé, depuis 2020 environ, pour prendre un tour beaucoup plus inquiétant. Non seulement le déficit commercial sur les biens s’est considérablement accru, passant d’un niveau inférieur à 5 milliards d’euros par mois (en moyenne), à un niveau qui avoisine désormais 15 milliards d’euros par mois (Figure 3). Mais il y a plus : la sensibilité du déficit commercial aux facteurs macroéconomiques est bien plus grande que par le passé. La même hausse des prix du pétrole creuse le déficit commercial à une vitesse 4 fois plus rapide que par le passé (Figure 6).

 

S’agissant du taux de change euro/dollar, la même dépréciation de l’euro creuse le déficit commercial à un rythme plus de 10 fois supérieur à ce qui prévalait par le passé (Figure 7). Cette sensibilité considérablement accrue du commerce français aux facteurs macroéconomiques doit s’interpréter comme une fragilisation de la France sur la scène économique mondiale, comme une capacité considérablement amoindrie à faire preuve de résilience aux chocs. Les causes exactes de cette fragilité accrue restent à explorer – Champs communs apportera périodiquement des éléments nouveaux.

Quelques éléments préliminaires suggèrent néanmoins que le décrochage français n’a pas une cause unique. Par exemple, si l’on regarde le solde commercial pour certains types de biens spécifiques (Figure 8), on voit certes un déficit considérable se creuser depuis 2020 sur les hydrocarbures naturels. Mais cela n’explique pas tout : le déficit s’est aussi creusé significativement sur les biens produits par l’industrie manufacturière, et même sur l’électricité, dont la France était exportatrice nette jusqu’au début 2021. Dans ce dernier cas au moins, seules des erreurs de politique économique – et non le Covid-19 ou la guerre en Ukraine – peuvent expliquer le creusement du déficit.

 

Le même constat prévaut lorsque l’on décompose le solde commercial par pays (Figure 9). Le déficit avec la Chine, négatif depuis longtemps, se creuse encore depuis 2020. Mais cela n’explique qu’une part des données. Ainsi, si l’on regarde le solde commercial vis-à-vis de pays aussi différents que les États-Unis ou la Russie, celui était très proche de zéro jusqu’en 2021 (et souvent positif vis-à-vis des États-Unis), mais est depuis devenu significativement négatif.

 

Ces « performances » inquiétantes devront être suivies de près, car elles semblent témoigner d’une fragilité sans précédent de l’économie française dans le monde.

 

[1] Il peut être tentant d’expliquer ce décrochage par l’introduction de l’euro en 2002. Celui-ci a certainement joué un rôle partiel, en supprimant la possibilité d’ajustements du taux de change. Néanmoins, la plupart des autres pays ayant adopté l’euro dès 1999 n’ont pas connu de dynamiques similaires (Figure A1). D’autres causes complémentaires sont donc à rechercher (entrée de la Chine dans l’OMC en 2001, erreurs de politique économique en France, etc.).

fig1_balance_commerciale_impexp.png
fig2_balance_commerciale_solde.png
fig3_balance_commerciale_biens_services.png
fig4_balance_commerciale_biens_petrole.png
fig5_balance_commerciale_biens_eurusd.png
fig6_balance_commerciale_biens_petrole_recent.png
fig7_balance_commerciale_biens_eurusd_recent.png
fig8_balance_commerciale_biens_goodslevel.png
fig9_balance_commerciale_biens_countrylevel.png
figA1_balance_commerciale_biens_zoneeuro.png

CETTE ÉTUDE VOUS A PLU ? 

AIDEZ-NOUS À EN FINANCER D'AUTRES !

En faisant un don ponctuel ou régulier à Champs communs, vous nous aidez à produire des travaux plus nombreux et avec davantage d'impact. Vous prenez part à une aventure intellectuelle stimulante, et vous accédez à des événements privés. Enfin, si vous êtes contribuable en France, vous bénéficiez d'une déduction fiscale.

  • Telegram_2019_Logo.svg
  • Twitter
bottom of page