COMMENT RÉALISER LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE
Un défi passionnant
Philippe Murer, Jean-Cyrille Godefroy, 2020
Le constat de dégradations environnementales très sévères, en cours et à venir, a été maintes fois dressé. Le grand mérite de l’ouvrage de Philippe Murer est de ne point s’en tenir à cela, mais d’esquisser un plan précis pour réaliser la transition énergétique. Autre mérite : Philippe Murer ne fait preuve d’aucun idéalisme abstrait : il prend en compte la réalité des contraintes énergétiques, politiques et sociales qui pourraient faire obstacle à l’avènement de modèles plus respectueux de l’environnement. Par exemple, là où nombre de voix appellent à une gouvernance mondiale plus étendue, à une coopération plus poussée à l’échelle planétaire, il reconnaît qu’il s’agit là probablement de la meilleure manière de ne rien faire : la France peut tenter de convaincre la Chine ou l’Afrique de limiter leurs émissions de carbone, cela a peu de chances d’aboutir ; si l’on s’en tient à cela, il est probable qu’aucun progrès n’ait été accompli dans 50 ans.
Au contraire, il faut reconnaître que les questions écologiques ne sont pas avant tout des enjeux mondiaux, mais des enjeux stratégiques pour nos pays et nos territoires. C’est à ce niveau qu’il faut agir. Plus les ressources se raréfieront, plus une hypothétique coopération mondiale pour se les partager sera utopique, et plus les États devront agir de manière stratégique et politique pour les conserver. Cette dimension stratégique et territoriale de la politique écologique est trop souvent occultée.
Que faire, dès lors ? Soulignons seulement quelques pistes avancées par Philippe Murer. Tout d’abord, il faut agir pour préserver les ressources rares sur nos territoires, à commencer par les métaux, dont beaucoup sont menacés d’épuisement à horizon de quelques décennies. Cette préservation passe par un recyclage plus systématique, ce qui suppose en premier lieu la conception de produits davantage recyclables (souvent des « basses technologies » par opposition à des « hautes technologies » plus dépendantes d’alliages complexes, etc.). Elle passe aussi par une extension de la durée de vie des produits, et par le recours à des produits plus aisés à réparer – ce qui requiert soit un meilleur étiquetage, soit des interventions politiques plus directe. Cela nécessite enfin un recyclage local : les déchets contenant des métaux rares ne doivent pas être retraités dans d’autres régions du monde, au risque de perdre l’accès à ces ressources.
Ensuite, s’agissant de notre modèle agricole, il s’agit là encore de changer de modèle pour préserver d’autres ressources rares : des sols vivants et la santé des populations (humaines et animales). Philippe Murer – et il n’est pas le seul – propose de relever massivement les standards réglementaires, en interdisant un nombre beaucoup plus grand d’intrants suspectés de polluer les sols et les cours d’eau, de contenir des perturbateurs endocriniens, et in fine d’affecter la santé humaine (recrudescence des cas d’autisme, de cancers, etc.). Mais il ne s’en tient pas aux bonnes intentions : il reconnaît qu’une telle politique minerait la compétitivité des agriculteurs sur les marchés mondiaux. Par conséquent, cette nouvelle politique agricole doit nécessairement s’accompagner d’une politique protectionniste, qui peut consister soit en l’imposition de droits de douane, soit en une préférence pour le bio produit localement dans la commande publique (cantines scolaires et autres cantines publiques).
Enfin, l’ouvrage de Philippe Murer offre une analyse très intéressante de la question énergétique. À ses yeux, la voiture électrique n’est pas une solution viable, notamment parce que le stockage par des batteries pose des questions presque insolubles (relatives notamment à l’énergie et aux métaux rares nécessaires pour produire ces batteries). La mobilité, à ses yeux, doit reposer sur l’hydrogène, lui-même envisagé comme un moyen de stocker l’électricité excédentaire produite durant la nuit (ou par des sources renouvelables lorsqu’il y a beaucoup de soleil ou de vent). Là encore, Philippe Murer montre brillamment que nous sommes face à un choix stratégique, que l’État doit faire. Le Japon l’a fait ; l’Europe semble s’engager sur une autre voie. Une erreur pourrait être dramatique car, quelle que soit la voie choisie, la mise en place d’une infrastructure particulière (stations à hydrogène ou bornes de rechargement électrique) requiert à la fois des investissements importants et une période de temps conséquente. Il est douteux que nous puissions avoir deux infrastructures parallèles ; à nous de faire les bons choix stratégiques.

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