GUERRE ET PAIX ENTRE LES MONNAIES
Économie et géopolitique au XXIe siècle
Jacques Mistral, Gallimard-Folio, 2021
D’abord publié en 2014, le livre de Jacques Mistral est reparu dans une version augmentée et mise à jour. Son sujet principal – l’ordre monétaire international et la possible « guerre des monnaies » à venir – est d’importance capitale. Sur ces thèmes, beaucoup d’idées simplistes circulent. On saura gré à Jacques Mistral de leur donner une grande profondeur, à la fois historique et théorique, quand bien même on peut par endroits formuler des réserves.
Les deux parties les plus intéressantes de l’ouvrage sont celles qui portent sur la domination de la livre sterling au XIXe siècle, et sur la Chine actuelle. S’agissant du rôle central joué par la monnaie britannique jusqu’à la Première Guerre mondiale, Mistral montre bien que la domination mondiale d’une monnaie résulte de multiples facteurs qui ne sont pas uniquement économiques. Bien sûr, la domination dans les échanges commerciaux est importante, car elle permet à une monnaie de circuler dans le monde. Mais la domination d’une monnaie requiert davantage : les étrangers doivent être capable de détenir des avoirs importants dans cette monnaie. Cela requiert une stabilité politique et des institutions appropriées : en préservant la stabilité de la place bancaire de Londres, la Banque d’Angleterre a joué un rôle central dans l’essor international de la livre.
L’ouvrage donne également quelques éléments intéressants sur la transition entre un monde dominé par la livre vers un monde dominé par le dollar. Et notamment celui-ci : il s’est écoulé 75 ans entre le moment où les États-Unis sont devenus la première puissance mondiale (dans le dernier tiers du XIXe siècle) et le moment où le dollar est devenu la monnaie dominante (au sortir de la Seconde Guerre mondiale). Autant dire que la domination d’une monnaie ne suit pas automatiquement le primat économique. Est-ce une leçon pour le renminbi aujourd’hui ? Peut-être. A minima, cela confirme la leçon selon laquelle il faut plus que de l’économie pour dominer monétairement : des institutions, du politique.
S’agissant de la Chine, précisément, l’ouvrage fait un point utile sur la volonté de renaissance qui s’affirme depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping : une renaissance qu’il faut interpréter sur la très longue durée, avec notamment la volonté de laver les humiliations du XIXe et du premier XXe siècle (guerres de l’opium, traités inégaux, occupation japonaise, etc.). À juste titre, le livre évoque une similarité entre certains pans du projet de « nouvelles routes de la soie » et le plan Marshall, qui a accompagné après 1945 l’essor mondial du dollar. En se projetant de plus en plus loin dans le monde, en finançant massivement des infrastructures hors de ses frontières, en multipliant les initiatives pour internationaliser le renminbi, la Chine n’est-elle pas en train de supplanter le dollar avec sa propre monnaie ?
C’est précisément quant aux projections que l’on peut formuler quelques réserves. Jacques Mistral semble miser sur un équilibre sino-américain qui permettrait d’éviter les tensions entre les deux géants. On peut avoir quelques doutes. De manière générale, on peut aussi reprocher au livre de négliger les facteurs géopolitiques derrière la domination du dollar, à commencer par la forte insistance pour que les alliés de Washington achètent ou facturent le pétrole en dollars, et toute la « diplomatie du dollar » qui accompagne la politique militaire américaine. Notons enfin que si l’ouvrage évoque les cryptomonnaies (dont on peut douter de l’avenir auquel elles sont promises), il élude la question des monnaies numériques de banques centrales, sur lesquelles l’avance chinoise est considérable, pour la plus grande inquiétude – géopolitique – des États-Unis.

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