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LES DÉPOSSÉDÉS

Christophe Guilluy, Flammarion, 2022

Christophe Guilluy creuse son sillon. On connaît ses études pionnières sur la « France périphérique », elles-mêmes issues d’ouvrages antérieurs sur les « fractures françaises ». Guilluy explore les territoires que ni les médias ni les chercheurs ne veulent voir : les vraies marges de la mondialisation, celles du petit peuple lentement déplacé hors des centres-villes et des zones de villégiature conquises par les classes aisées. Exclus ? Le terme est ambigu, car nul ne les force à partir : les prix de l’immobilier et le coût de la vie s’en chargent. Le phénomène est ici brièvement mais magistralement décrit. Des pans entiers de la population deviennent invisibles au gré des mouvements de population des élites ; là où celles-ci élisent domicile (primaire, secondaire ou peut-être tertiaire), des familles sont déplacées, grossissent les zones péri-urbaines sans âme, et nul ne parle plus d’eux – si ce n’est occasionnellement pour railler leurs travers réels ou supposés.

Guilluy explore ici plus avant les discours par lesquels les gagnants de la mondialisation se donnent bonne conscience. Certains aspects sont bien connus : en s’installant dans une province quelconque, les citadins aisés contribueraient à revitaliser la région en y apportant des ressources. Certes, mais sans voir qu’ils exproprient aussi – par la hausse des prix – beaucoup de familles de leur terre natale. En Corse par exemple, le phénomène atteint des proportions insoutenables. Un autre argument est particulièrement intéressant : depuis des années, les élites citadines développent un discours fort visant à dénoncer les « 1% » les plus riches. Guilluy démasque l’imposture : c’est un moyen pour beaucoup des gagnants de la mondialisation de s’inclure dans les « 99% », aux côtés des perdants de la mondialisation. Ainsi, le supposé clivage entre les « 1% » et les autres apparaît totalement inopérant, sans aucune puissance d’analyse politique ou sociologique. C’est un pur artifice permettant à beaucoup de ne pas voir les nuisances qu’ils causent à la France populaire. Pour des raisons comparables, Guilluy montre qu’il n’y a aucune révolte profonde à attendre de la bourgeoisie urbaine, quand bien même celle-ci proclame des opinions d’extrême-gauche. Tout son discours est façonné depuis longtemps pour ne pas voir le peuple qui souffre.

Si l’on peut formuler une seule réserve, disons que Guilluy surestime peut-être la « décence commune » et la capacité du peuple périphérique à se révolter pour obtenir davantage de reconnaissance. Espérons, évidemment, qu’il ait raison sur ce point.

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