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INUTILITÉ PUBLIQUE

Histoire d'une culture politique française

Frédéric Graber, Amsterdam, 2022

Depuis plusieurs siècles, les grands projets d’infrastructures passent outre la résistance des communautés locales – ou, plus souvent, leur silence – en invoquant l’« utilité publique » de tel canal, de telle centrale, de tel aéroport. Que cachent exactement ces appels à l’utilité publique, et les processus censés établir ladite « utilité » ? Frédéric Graber se fait ici historien et sociologue d’un objet trop souvent négligé : les « enquêtes publiques » qui sont, précisément, la démarche administrative par laquelle l’« utilité publique » est présumée être démontrée.

Avant tout, de quoi parle-t-on ? En remontant aux origines de cette institution, Frédéric Graber montre qu’il s’agit, fondamentalement, de rompre avec des droits et des usages coutumiers au niveau local (souvent communal) en affirmant un principe supposé supérieur. Il s’agit donc de redistribuer des droits, en « expropriant » certaines communautés qui, par exemple, perdront l’usage de certaines terres, ou verront la nature et les paysages pollués. Derrière l’« utilité publique », il y a donc la rupture d’un équilibre local.

Reconnaître ce fait fondamental n’est, dans ce livre, que le préalable à une étude de sociologie politique. Tant la monarchie que la République ont ressenti le besoin de justifier ces ruptures. C’est ainsi qu’est née l’institution que l’on connaît aujourd’hui sous le nom d’« enquête publique », dont Frédéric Graber montre parfaitement qu’elle n’est souvent qu’un leurre : l’« utilité publique » n’est pas quelque chose d’extérieur à l’enquête, laquelle pourrait donc être « neutre » a priori ; au contraire, l’utilité publique est intérieur à l’enquête et affirmée par elle. Ainsi, les enquêtes publiques sont presque systématiquement favorables aux projets engagés. Dans certains cas, le taux d’avis favorables serait supérieur à 99% ! In fine, ce qui est absurde d’un point de vue logique se trouve presque toujours démontré d’un point de vue administratif : par exemple, un projet consistant à bétonner des terres sera qualifié de « bon pour la biodiversité » (s’il y a eu des actions de « compensation » par ailleurs).

Plus qu’un moyen d’établir une quelconque utilité des grands projets d’infrastructures, l’enquête publique apparaît surtout comme un moyen de neutraliser les critiques, en donnant l’apparence de consultations. Il en résulte un nouveau paradoxe : là où l’utilité publique devrait a minima être établie par un débat ouvert, on considère souvent que l’utilité est d’autant plus solidement reconnue que c’est le silence qui règne. Tel projet a fait l’objet d’un affichage public anonyme : si personne ne s’est manifesté, ce doit être parce que chacun consent. CQFD. Frédéric Graber relève pourtant de nombreux témoignages d’opposants à des projets faramineux et à l’utilité douteuse : « à quoi bon s’exprimer, on sait que c’est perdu d’avance ». Faire mine d’entendre et ne tenir compte de rien, tel semble être la triste réalité derrière l’« utilité publique ». Une autre forme de dépossession des communautés locales.

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