LE DROIT CHINOIS
Marie Goré et Ai-Qing Zheng, PUF, 2022
En janvier 2021, un nouveau code civil est entré en vigueur en Chine. C’est là une très bonne raison de s’interroger sur les fondements du droit chinois. Mais il en est une autre : avec le déploiement, depuis 2013, des « nouvelles routes de la soie » à travers l’Asie et jusque vers l’Europe et l’Afrique, un nombre croissant d’acteurs sont directement confrontés au droit chinois, et doivent s’y adapter. Du point de vue de Xi Jinping, certains éléments du droit chinois ont vocation à être exportés. Or, quand bien même la Chine a emprunté à d’autres traditions juridiques (notamment aux pays de civil law, dont la France), elle donne néanmoins à voir une vision du droit bien différente de celle à laquelle nous sommes accoutumés.
Les pages que Marie Goré et Ai-Qing Zheng consacrent aux différences entre traditions juridiques sont passionnantes. Le reste de l’ouvrage, consacré à une exposition plus technique de la procédure ou des codes, est moins fondamental. La leçon la plus importante est la suivante : dans la tradition confucéenne, l’idée d’un monde social organisé avant tout par le droit positif est absente. Le droit n’est, au mieux, que l’auxiliaire, la traduction, d’un ordre cosmique au sein duquel le ciel, la terre et les hommes interagissent en permanence. L’idéal d’un monde social harmonieux est celui d’un ordre où chacun est à sa place, où les rapports sociaux sont régulés par une « morale » commune plutôt que par le droit (le terme de « morale » a un sens très différent de celui qu’il a acquis dans la tradition chrétienne), par des « rites » (li), par des « vertus » (yi).
Dans cette tradition juridique, l’idée de droits individuels et subjectifs – centrale pour la modernité occidentale – est absente. La cellule de base du monde social n’est pas l’individu mais la famille. Par exemple, la propriété des terres est familiale et non individuelle.
Autre idée importante : là où le droit occidental est centré vers la résolution de conflits sur la base de principes abstraits, les légistes chinois sont davantage tournés, traditionnellement, vers l’harmonie concrète des rapports sociaux. Les deux auteurs citent cette formule très importante de Granet : « Le prestige du concret, le sentiment de l’occasionnel sont trop puissants, l’ordre humain et l’ordre national paraissent trop étroitement solidaires pour que le principe de tout ordre puisse être doué d’un caractère d’obligation ou de nécessité. La loi, l’abstrait, l’inconditionnel sont exclus ; l’univers est un, tant dans la société que dans la nature. » Les conséquences sont immédiates : le juge ne procède pas par syllogisme, il ne fait pas dériver des solutions de principes abstraits ; il est plus attentif aux circonstances, aux sentiments, qu’il combine en les équilibrant avec le droit écrit. Un principe est à cet égard important, celui du guanxi. Difficilement traduisible, il s’agit de la propension à chercher à résoudre les conflits non dans l’abstrait, mais par la mobilisation d’un réseau de relations pensé comme totalité unitaire.
Outre ces aspects passionnants, mentionnons néanmoins deux points sur lesquels l’ouvrage est un peu court. Tout d’abord, si l’impact de la tradition confucéenne est bien décrit, celui du socialisme l’est beaucoup moins. Or l’articulation des deux est importante pour comprendre la « voie chinoise » vers le socialisme. Ensuite, l’ouvrage élude presque complétement l’épineuse question de l’écart entre les textes écrits et la pratique concrète du droit. On sait par exemple que, avant l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, la corruption était endémique, suscitant une défiance très forte. Des mesures ont été prises. Mais ont-elles été efficaces, dans un contexte par ailleurs marqué par la reprise en main du parti communiste et de la société par Xi ?

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