LA DÉSINDUSTRIALISATION DE LA FRANCE, 1995-2015
Nicolas Dufourcq, Odile Jacob, 2022
Si elle a des racines plus anciennes, la désindustrialisation reste un phénomène très récent : entre 1995 et 2015, la France a perdu près de la moitié de ses usines et le tiers de son emploi industriel. Toute tentative pour essayer de mettre au jour les causes et les conséquences de ce phénomène brutal et traumatique est donc bienvenue. Le livre de Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d’investissement (BPI), y contribue en collectant bon nombre de témoignage d’acteurs ayant traversé cette vague de délocalisations – hommes politiques, chefs d’entreprises, syndicalistes, etc.
Dans l’ensemble, le résultat est néanmoins assez décevant : les témoignages courts relèvent plus souvent de l’anecdote individuelle plus que de l’analyse profonde. Certains thèmes sont récurrents – par exemple le rôle joué par la loi sur la semaine de travail de 35 heures – mais on sent vite que ce n’est pas suffisant pour expliquer la désindustrialisation. Certains témoignages sont proprement hors-sol, à l’image de ceux de François Villeroy de Galhau (actuel gouverneur de la Banque de France) ou de Pascal Lamy (ancien directeur général de l’OMC). Ce dernier va jusqu’à nier tout rôle de la Chine dans la désindustrialisation de la France. Dans le même esprit, Patrick Artus ose affirmer que le GATT et l’OMC n’ont joué aucun rôle, écrivant même : « la dégradation du commerce extérieur de la France est quasi-entièrement intraeuropéenne ». Cette affirmation est tout simplement fausse. Depuis de longues années, la France a un déficit commercial récurrent vis-à-vis de la Chine (entre 2 et 4 milliards d’euros tous les mois). Ce dont ces entretiens témoignent, c’est surtout de l’incapacité de certaines élites à regarder avec lucidité deux décennies de désindustrialisation.
L’ouvrage permet néanmoins d’esquisser quelques pistes intéressantes. À travers maints témoignages, on comprend que, à un certain moment, les élites parisiennes ont cessé de croire au rôle industriel de la France, et ont été happées par l’utopie d’un monde « fabless » (sans usines), où tout serait plus efficacement délocalisé. Nicolas Dufourcq explique cela par la centralisation française : contrairement à l’Allemagne ou à l’Italie, la quasi-totalité des sièges sociaux des grandes entreprises françaises sont à Paris. Toutes étaient donc vulnérables aux mêmes modes intellectuelles venues du monde anglo-saxon, et leurs décideurs ont donc été contaminés beaucoup plus vite que chez nos voisins. Leurs dirigeants ont cessé de croire à l’industrie nationale et, de fait, nous avons beaucoup plus désindustrialisé que l’Allemagne ou l’Italie. Par-delà des erreurs de politique économique – qui sont bien réelles – ce qu’il faut incriminer est donc un esprit, une idéologie, une mentalité qui ont imprégné pendant un temps les élites économiques de la France. Outre ces quelques pistes, une véritable histoire de la désindustrialisation reste à écrire.

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