LA COPOSSESSION DU MONDE
Vers la fin de l'ordre propriétaire
Pierre Crétois, Éditions Amsterdam, 2023
Pierre Crétois était l’auteur d’un beau premier livre, La Part commune. Son second livre poursuit le même sillon. Après avoir étudié l’idéologie propriétaire, il s’agit de mettre en lumière ce que l’auteur nomme l’« ordre propriétaire ». Qu’est-ce à dire ? Dans les justifications courantes en faveur de la propriété privée, se trouve l’idée selon laquelle celle-ci est nécessaire pour mettre de l’ordre dans le monde social. En l’absence de propriété, les parcelles communes peuvent être surexploitées (la fameuse « tragédie des communs ») et, plus encore, une « guerre de tous contre tous » menace toujours. La propriété privée, depuis Hobbes (dont l’ouvrage met bien en lumière la pensée sur ce point), est pensée comme un moyen de mettre de l’ordre dans la société : la puissance publique, en garantissant les droits de propriété, garantit aux individus un domaine propre, supposé jouer un rôle pacificateur. À ce titre, Pierre Crétois met bien en évidence le rôle de garant que les Etats jouent dans le maintien des droits de propriété. Ce que confirme Hayek, qui écrit que la propriété n’est pas « tombée du ciel ».
Il est ensuite aisé de montrer que cet ordre propriétaire a une face cachée : ce n’est pas un ordre complet. Il créé autant de désordres qu’il en résout, et dégrade autant de communs qu’il en protège. Ce dernier point est bien connu : toutes les ressources qui ne sont pas appropriables et ne sont pas gérées collectivement peuvent être surexploitées ou polluées. Quant à la perturbation des équilibres sociaux, la propriété privée peut être accumulée jusqu’à créer des inégalités, qui, tôt ou tard, rendent l’ordre social à nouveau instable.
La partie la plus nouvelle de l’ouvrage est celle dans laquelle Pierre Crétois propose une conception alternative de la propriété comme « copossession du monde ». Par certains aspects, cette conception mérite d’être retenue : il s’agit de penser la propriété exclusive non comme modalité d’accès aux biens par défaut, mais comme déclinaison du commun. La copossession serait le statut normal des biens, dont l’usage pourraient ensuite être individualisé, selon des modalités qui s’apparentent à une propriété temporaire ou limitée. Concrètement, il s’agit de faire en sorte que les usages privés des biens ne soient pas incompatibles avec des fins communes spécifiées ex ante. Jusque-là, rien à objecter, bien au contraire.
Là où l’ouvrage déçoit en revanche, c’est parce que, en dépit de références abondantes aux « communs », il reste empreint d’une perspective profondément individualiste. Certes, l’auteur entend s’assurer que les objectifs individuels ne soient pas en contradiction avec les fins collectives, mais il formule l’entièreté du raisonnement en termes de « droits » de l’individu. Cette difficulté à s’arracher à l’individualisme naît d’une incapacité à penser le commun de manière cohérente. Qui dit « commun » dit « communauté », ce qui présuppose de définir qui appartient à une communauté et qui n’y appartient pas – et ce que la communauté est de manière substantielle. C’est précisément ce à quoi se refuse Pierre Crétois – en opposition sur ce point avec Elinor Ostrom, qui soulignait bien la nécessité de mettre des frontières aux communs. Crétois veut penser des communs accessibles universellement, sans limites, sans faire aucune distinction entre les communautés humaines – de langue, de religion, de nations, etc. Cet universalisme et la contrepartie de l’individualisme : le seul « commun » qui peut rester par-delà les appartenances collectives est le plus petit dénominateur commun, c’est-à-dire trois fois rien.

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