GREENWASHING
Manuel pour dépolluer le débat public
Aurélien Berlan, Guillaume Carbou et Laure Teulières (dirigé par), Seuil, 2022
Le greenwashing désigne originellement la pratique d’entreprises qui masquent leurs activités polluantes derrière un discours écologiste ou derrière des actes dont l’impact pour l’environnement est dérisoire. Aujourd’hui, le mot est entendu en un sens bien plus large : tout discours qui parlerait d’environnement sans aller au fond des problèmes d’écologie pourrait relever du greenwashing. Il en va ainsi, par exemple, des utopies de la « croissance verte » et du « développement durable », qui portent à croire que l’on pourrait résoudre les problèmes environnementaux sans renoncer à la croissance et au « développement » économique. C’est en ce sens qu’il faut ici comprendre le greenwashing : l’ouvrage fait le point, dans une série de court textes, sur beaucoup de pratiques pouvant en relever. Impossible ici de résumer chacun des 25 chapitres qui composent l’ouvrage. Signalons seulement quelques lignes de force.
Premièrement, une critique essentielle, qui traverse la plupart des articles, est celle de tout ce qui s’assimile à la « compensation » environnementale. En d’autres termes, à l’idée selon laquelle il serait acceptable de détruire des milieux naturels particuliers, dès lors que l’on « compense » ces effets en recréant un milieu naturel ailleurs, en achetant des parcelles de forêt pour stocker du carbone, voire en faisant des donations à des ONGs dont l’action éducative contribuera à réduire la pollution future. Tout cela est critiquable à plusieurs égards. Cela repose d’abord sur une vision simpliste des écosystèmes, qui ne prend généralement en compte que quelques espèces remarquables, sans voir la complexité des relations écosystémiques au niveau local. En outre, là où les coûts associés à une destruction sont toujours certains, les bénéfices provenant de la compensation sont souvent incertains. Par exemple, le carbone stocké dans une parcelle forestière peut être libéré si la forêt brûle.
Deuxièmement, plusieurs articles analysent finement la diversion opérée par de nombreux discours traitant d’écologie. Jean-Baptiste Fressoz montre par exemple en quoi les grands titres affirmant une « prise de conscience » des enjeux sont très anciens – ce qui n’empêche pas que chaque catastrophe soit supposée créer une nouvelle « prise de conscience ». Insister sans cesse là-dessus, c’est se dédouaner de l’inaction passée (lorsque la « prise de conscience » n’avait pas encore eu lieu). Celui qui dit chaque jour « maintenant, j’ai pris conscience » est à l’image du fumeur qui, chaque matin, se dit « aujourd’hui j’arrête ». De même, beaucoup de discours sur le recyclage ou l’économie circulaire sont trompeurs, promus par les industriels : l’imaginaire associé au recyclage laisse croire qu’il serait possible de produire toujours plus sans impact environnemental.
Si la plupart des contributions sont intéressantes, certaines sont moins percutantes. Le chapitre sur le nucléaire est d’une utilité douteuse, et tombe dans des critiques faciles (il faut bien entendu du béton pour construire une centrale, nul n’a jamais prétendu l’inverse). Quant au chapitre sur le « nationalisme vert », il est caricatural et vide. Ces deux exceptions pointent vers un danger potentiel : s’il est certainement bon que la définition du greenwashing soit aujourd’hui beaucoup plus large que par le passé, il serait malsain que soit disqualifié comme greenwashing absolument tout ce qui ne se fond pas dans une doxa particulière. Face au danger selon lequel « anything goes » en matière d’environnementalisme, il ne faudrait pas que « anything goes » en matière de greenwashing.

DES LIVRES À NOUS SUGGÉRER ?
DES RECENSIONS À NOUS PROPOSER ?
Écrivez-nous : contact@champscommuns.fr