
CHIFFRES DU CHÔMAGE : LA GRANDE DIVERGENCE
Contexte
Fin 2021, le gouvernement se félicitait d’un taux de chômage à son plus bas niveau depuis la crise financière de 2008 (à 7,1%). Faut-il pour autant se réjouir, ou cette baisse est-elle partiellement en trompe-l’œil ? Cette note met en évidence une « grande divergence » qui s’accentue, précisément depuis 2008, entre deux mesures différentes du chômage. Là où les chiffres commentés par le gouvernement montrent effectivement une baisse du chômage, le nombre d’inscrits à Pôle emploi demeure significativement plus haut, et l’écart ne cesse de se creuser pour représenter environ 900 000 personnes. Cette « grande divergence » s’explique notamment par la multiplication des contrats courts et précaires.
Les deux mesures du chômage
Il y a deux manières de mesurer le chômage :
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Le nombre de chômeurs au sens du BIT (bureau international du travail). C’est la mesure la plus souvent commentée, notamment parce que les chiffres obtenus sont comparables d’un pays à l’autre. Selon cette définition, un chômeur est quelqu’un qui remplit trois critères : (1) sans emploi durant une semaine donnée, (2) disponible pour travailler dans les deux semaines, (3) ayant effectué une démarche active de recherche au cours des quatre dernières semaines.
Concernant cette définition, deux choses sont à noter. Tout d’abord, un emploi à temps partiel, voire très partiel (quelques heures par semaine), suffit à ne plus être considéré comme chômeur. Ensuite, le simple fait d’être inscrit à Pôle emploi n’est pas considéré comme une démarche active de recherche d’emploi. Une personne doit effectivement contacter Pôle emploi, examiner des offres, etc.
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Le nombre d’inscrits à Pôle emploi. Ces personnes sont inscrites et tenues de rechercher un emploi. Les personnes inscrites à Pôle emploi sont réparties en trois catégories, selon qu’elles sont présentement sans emploi (catégorie A), ou dans une activité réduite courte ou longue (catégories B et C).
Historiquement, le nombre de chômeurs évalué par l’une ou l’autre de ces mesures était relativement similaire[1]. Au moment où s’est déclenchée la crise de 2008, ces deux mesures étaient presque identiques, autour de 2 millions de chômeurs. Depuis lors, la différence entre les deux mesures n’a cessé de s’amplifier, le nombre d’inscrits à Pôle emploi étant aujourd’hui considérablement plus élevé que le nombre de chômeurs au sens du BIT (voir Figure 1)[2]. Ce simple constat doit inciter à relativiser les performances de la France sur le front de l’emploi.
Pourquoi la divergence des chiffres ?
La divergence entre les deux mesures du nombre de chômeurs est un phénomène multifactoriel. Il n’est pas question ici de l’étudier de manière exhaustive, mais de souligner les causes les plus importantes[3]. Celles-ci tiennent principalement à la situation spécifique des plus jeunes et des plus âgés, proches de la retraite.
1. Un grand nombre d’inscrits à Pôle emploi sont considérés comme inactifs au sens du BIT, donc exclus des statistiques du chômage. Ce fait est particulièrement prononcé pour les seniors, et s’est amplifié au cours des années 2010. Les personnes qui approchent de la retraite peuvent être inscrites à Pôle emploi en vertu d’une démarche administrative, mais être néanmoins considérées comme inactives au sens du BIT, parce qu’elles n’effectuent pas de démarche active de recherche d’emploi. Pour les seniors, ce fait s’explique avant tout par la moindre probabilité de trouver un emploi après l’âge de 50 ans et, pour certains, par une forme de découragement. Néanmoins, ce fait était vrai avant la crise de 2008 ; pourquoi la différence ne se manifeste-t-elle que maintenant ? Deux causes sont à privilégier : la hausse de l’âge du départ à la retraite, ainsi que la fin de certaines dispenses de recherche d’emploi, ont amplifié la divergence au cours de la dernière décennie. Il est aussi possible que la situation des seniors sur le marché du travail se durcisse, en raison des changements de la composition sectorielle du marché français.
2. La plus grande volatilité de l’emploi des jeunes. Du côté des jeunes, la situation est presque inverse de celle des seniors. Premièrement, les jeunes sans emploi sont relativement moins inscrits à Pôle emploi que les personnes plus âgées : 38% des moins de 24 ans au chômage ne sont pas inscrits à Pôle emploi, contre 14% dans l’ensemble de la population[4]. Deuxièmement, les jeunes ont un taux d’emploi plus volatile : ils sont souvent les premiers dont les entreprises se séparent durant les crises, et les premiers réembauchés lors des reprises. Ils sont aussi plus susceptibles d’avoir des contrats courts et précaires. Ces deux faits signifient que certaines des variations de l’emploi des jeunes ne se verront qu’imparfaitement dans les chiffres de Pôle emploi, alors qu’ils seront reflétés dans les chiffres au sens du BIT. Néanmoins, là encore, ces faits ne sont pas neufs durant la période post-2008. Le fait que les deux mesures du chômage divergent après 2008 signifient que ces faits ont pu devenir plus importants : que le recours à Pôle emploi a baissé, et que la sensibilité de l’emploi des jeunes aux crises a augmenté.
3. La difficulté à rendre compte des contrats précaires. Enfin, une part (mineure) de la divergence peut provenir de la difficulté à rendre compte des contrats très précaires, tels ceux qui ne comptent que quelques heures par semaine – ou pour les métiers pour lesquels il est difficile de comptabiliser les heures. Ces personnes peuvent n’être pas considérées comme au chômage au sens du BIT, alors qu’elles le sont du point de vue de Pôle emploi. Dans la mesure où les contrats précaires ont augmenté, ce mécanisme contribue aussi à expliquer une part de la divergence.
Recommandations
Aucune statistique ne peut jamais donner une vision complète du phénomène qu’elle entend mesurer. Si le taux de chômage au sens du BIT est une mesure utile à certains égards, elle a aussi des limites. Ainsi, plus que d’autres mesures, elle est particulièrement sensible à des changements liés à la précarité et à la courte durée des contrats – donc volatile et cyclique. Plus spécifiquement, le taux de chômage au sens du BIT paraît moins adapté pour refléter adéquatement la situation des plus jeunes et des plus âgés sur le marché de l’emploi. Afin de saisir les dynamiques de fond sur le marché de l’emploi, des mesures reflétant mieux la situation de ces deux catégories semblent préférables. Les gouvernements doivent aussi rendre des comptes sur de tels chiffres.
[1] Lorsque l’on considère les inscrits à Pôle emploi de catégorie A.
[2] À dessein, nous ne nous concentrons ici que sur le nombre de chômeurs et non sur le taux de chômage. Le taux de chômage, défini comme le ratio entre le nombre de chômeurs et la population active, fait intervenir un facteur supplémentaire de controverse, à savoir la population active. C’est ainsi que le chômage peut baisser non pas parce que les chômeurs retrouvent un emploi, mais parce que certains actifs deviennent inactifs – ce qui est par exemple le cas lorsqu’une personne est demandeuse d’emploi depuis trop longtemps.
[3] Pour une analyse plus complète, voir Yohan Coder, Christophe Dixte, Alexis Hameau, Sophie Hamman, Sylvain Larrieu, Anis Marrakchi et Alexis Montaut, « Les chômeurs au sens du BIT et les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi : une divergence de mesure du chômage aux causes multiples », Insee Références, 2019.
[4] En 2017.

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